Un détective privé américain condamné pour avoir agi comme agent illégal de la Chine

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By AGOP

Lorsqu’un détective privé accepte une mission sensible impliquant un ressortissant étranger, les conséquences peuvent s’avérer bien plus graves qu’il ne l’imagine. Et l’histoire qui suit en est l’illustration parfaite.

Dans une affaire récente jugée aux États-Unis, la collaboration d’un enquêteur privé avec un État étranger, par le biais d’actes de surveillance et de pression politique, a conduit à une condamnation pénale. Ce dossier, où se mêlent prestations privées, ingérence internationale et justice américaine, jette une lumière inquiétante sur les risques juridiques et éthiques auxquels peut être confronté un professionnel du renseignement privé.

Un détective privé au cœur de l’opération « Fox Hunt »

Le 16 avril 2025, Michael McMahon, ancien sergent de la police de New York devenu détective privé, a été condamné à 18 mois de prison par un tribunal fédéral de Brooklyn. Son crime ? Avoir agi comme agent non déclaré pour la République populaire de Chine, dans le cadre d’une opération secrète visant à faire pression sur un dissident chinois résident américain, réfugié aux États-Unis.

À l’origine de cette affaire : l’opération « Fox Hunt », une campagne mondiale lancée par Pékin pour localiser et rapatrier de force des ressortissants chinois accusés de corruption. Si la Chine présente cette initiative comme une lutte contre la criminalité économique, de nombreuses démocraties y voient une forme de répression transnationale ciblant aussi bien des opposants politiques que des exilés économiques.

Un détective privé condamné aux USA.
Capture d’écran de l’article « Ex-NYPD cop jailed in Beijing’s transnational repression campaign » publié sur The Bureau (https://www.thebureau.news/p/ex-nypd-cop-jailed-in-beijings-transnational). Tous droits réservés.

Surveillance, intimidation… et dérive judiciaire

Entre 2016 et 2019, Michael McMahon, détective privé et ancien policier, est recruté pour retrouver la trace d’un ancien responsable chinois installé dans le New Jersey. L’homme, devenu résident américain, est considéré comme dissident par Pékin. Une fois l’adresse du sujet identifiée, McMahon la transmet directement à un agent de la République populaire de Chine. Il s’agit de la première étape d’une opération orchestrée par des responsables chinois pour faire pression sur leur cible.

Derrière lui, l’appareil d’État chinois prend le relais. L’opération est pilotée par plusieurs officiels — dont un policier et un procureur de la République populaire de Chine.

McMahon, lui, suggère à un complice de la RPC de « harceler » la personne ciblée.

Un mot glaçant est ensuite laissé sur la porte d’entrée de la cible : « Sa femme et ses enfants s’en sortiront », à condition qu’il accepte de rentrer en Chine… où il encourt jusqu’à dix ans de prison.

Pour son rôle dans cette tentative de rapatriement illégal orchestrée par un État étranger, McMahon reçoit plus de 19 000 dollars, qu’il fait déposer sur le compte bancaire de son fils — une méthode inhabituelle qui semble destinée à masquer la provenance réelle des fonds.

McMahon, pour sa part, a déclaré au tribunal qu’il pensait agir pour une entreprise privée chinoise cherchant à récupérer des fonds détournés. Il affirme avoir été « utilisé à son insu » par des agents de la République populaire de Chine, convaincu qu’il s’agissait d’une enquête commerciale classique. Mais la justice fédérale n’a pas retenu cette version.

Pour les procureurs, McMahon savait qu’il collaborait avec des représentants du gouvernement chinois et avait conscience que sa mission s’inscrivait dans une opération d’intimidation ciblée. Il a donc été reconnu coupable d’avoir agi comme agent étranger non déclaré, une infraction grave aux États-Unis, en particulier lorsqu’elle est menée au profit d’une puissance comme la Chine.

Face à la multiplication de cas similaires, le FBI a lancé un site officiel pour permettre aux victimes de signaler les actions de gouvernements étrangers cherchant à traquer, intimider ou agresser des personnes sur le sol américain.

🔗 fbi.gov/investigate/counterintelligence/transnational-repression

Un précédent lourd de sens pour les détectives privés

L’affaire McMahon soulève une question centrale : qui est vraiment le client ? Et jusqu’où peut-on aller en tant que détective privé sans franchir une ligne rouge ?

Dans cette profession, il devient de plus en plus fréquent de voir des États étrangers tenter de recruter des détectives privés pour des enquêtes qui, en apparence, relèvent du domaine civil ou commercial. En réalité, il s’agit parfois de missions déguisées, visant à surveiller, localiser ou faire pression sur des opposants politiques. Utiliser un détective privé offre à ces États un avantage stratégique évident : pas de diplomates à impliquer, pas d’agents officiels à exposer, et une couverture bien plus discrète.

Il faut rester lucide : oui, certaines agences de détectives privés acceptent ce genre de mission en toute connaissance de cause. Et dans certains cas, on peut comprendre pourquoi. Lorsqu’un État étranger prend contact sous couvert d’une enquête civile ou commerciale, qu’il agit discrètement et propose une rémunération généreuse, la tentation est réelle.

Mais la chute peut être brutale. Dès lors qu’une enquête judiciaire s’ouvre (notamment si des services gouvernementaux sont impliqués), les conséquences peuvent être lourdes. Poursuites pénales, radiation professionnelle, réputation détruite… le jeu n’en vaut pas toujours la chandelle.

Une vigilance indispensable : ce que recommande le Royaume-Uni

Conscient de cette problématique, le Royaume-Uni a publié en janvier 2025 un guide intitulé « Do you know who you’re working for? », dans le cadre de la mise en œuvre du National Security Act 2023. Ce document vise les professionnels de la sécurité, sans mentionner explicitement les détectives privés, mais ses recommandations leur sont hautement pertinentes.

Le guide recommande notamment :

  • de signaler toute situation suspecte aux autorités, comme le contre-terrorisme ou la police nationale, en cas de doute.
  • d’identifier précisément les clients, surtout s’ils sont basés à l’étranger ;
  • d’analyser les objectifs des missions demandées : collecte d’informations personnelles, accès à des sites sensibles, suivi de personnes à risque ;

Le guide met aussi en garde contre les fausses apparences : certaines entités peuvent se présenter comme des entreprises, mais agir pour le compte d’un État. Un contrat apparemment anodin peut ainsi se transformer en complicité d’espionnage, de harcèlement, voire de tentative d’intimidation politique.

Consultez le guide complet (en anglais) : Do you know who you’re working for? – UK Government

En conclusion : savoir dire non

Le cas de Michael McMahon rappelle que l’ignorance n’est pas toujours une défense. En tant que détective privé, refuser une mission douteuse, même bien rémunérée, peut protéger votre liberté, votre réputation, et votre licence professionnelle.

Mieux vaut perdre un client que de risquer une condamnation pénale pour avoir, sans le savoir, servi les intérêts d’une puissance étrangère hostile.

Sources : U.S. Department of Justice